Le groupe musical KLASS vient de sortir son album ayant pour titre My pain killer/ Dwat pou w vini. Sur l’album, la composition musicale Kafou A, placée en dernière position et interprétée par Edersse Stanis dit Pipo et Tafa Mi-Soleil, attire notre attention dans le sens qu’il dégage un esprit animiste en montrant l’échec de l’homme haïtien quand il s’agit pour lui de répondre à ses exigences existentielles: il fait appel au sacré.
Qu’est-ce qu’elle raconte cette chanson? Elle raconte que l’homme haïtien fait face à de graves problèmes: politique et social. Il n’arrive pas à trouver des solutions. Dans ce contexte, il fait appel à la divinité kafou dans la religion vaudou. Tout comme dans l’imaginaire vaudou, ce mot désigne à la fois un lieu et aussi un esprit, la narration de la composition entend prendre ces deux considérations. C’est-à-dire, si le mot kafou évoque le lieu ou l’endroit où se rencontrent plusieurs voies ou chemins, kalfou évoque l’esprit des carrefours ou comme celui qui fait des passages comme la figure du dieu Legba dans le panthéon vaudou. Voici un extrait de la chanson qui est composée par le maestro Jean Hérard Richard dit Richie:
Rele yo m pa wè yo
Rele lèsen lèzanj yo
[…]
Nou n on kafou
chimen nou bare
Tankou chen fou
pa wè n antrave
Granchimen n mande pasay o
Kafou a n mande pasay o
Men ginen pitit lakou a fò nou pase
[…]
C’est-à-dire, si le narrateur qui incarne la voix de la population se trouve devant un carrefour dans le sens qu’il est à la croisée des chemins, -il n’a pas de repère -, il exauce le dieu Kafou pour l’indiquer quel chemin faut-il prendre pour sa délivrance. En ce sens, Kafou est à la fois le lieu de son incertitude et le lieu de son soulagement. Il faut comprendre que c’est un cri incoercible qu’il pousse devant cette figure mythologique comme seule instance qui peut délivrer son peuple de son mal-être existentiel. Ce mal-être existentiel que ses propres partenaires sociaux ont créé qui appert la maximisation individuelle au détriment du corps social. Kafou doit lui venir en aide, puisqu’il se reconnait à travers ce dernier: Li se pitit lakou a, sinon pita ka pi tris…
Ceci dit, en s’adressant à cette figure mythologique, le narrateur entend montrer la limite de l’homme haïtien. Pour paraphraser Protagoras à la négative et tout en restant dans le contexte particulier de l’homme haïtien, nous dirons, suivant la démarche du narrateur, que l’homme haïtien n’est pas la mesure de toute chose. Celui-ci ne peut donner solution à ses problèmes. Pour compenser sa faiblesse, son incertitude, il se tourne vers les dieux tout comme il a été question pour l’homme archaïque ou primitif de combattre ses angoisses en se retournant, à chaque fois, vers les figurations sur les parois des grottes. En ce sens, le compositeur fait une narration d’anthropologie négative sur l’homme haïtien.
Cette conscience magique n’est pas sans importance puisqu’elle entend montrer pour le vivant humain que le monde est symbolisé par le langage. Il peut parler avec le monde et ce dernier peut lui répondre à son tour favorablement. Autrement dit, pragmatiquement, il peut parler avec la nature comme instance suprême pour résoudre ses problèmes. Ce couloir communicationnel qu’il hérite des premiers humains dans leur relation avec la nature. En ce sens qu’ils avaient développé cette conscience que la nature est dotée d’une force supérieure capable de répondre à leurs besoins.
Comment saisir le beau dans cette œuvre musicale à dimension métaphysique? Ici, le beau n’est autre que cette réception jouissive spirituelle que le compositeur escompte. C’est-à-dire, puisque d’un point de vue métapsychologique l’homme ne saurait jouir une énonciation qui ne fut déjà la sienne, l’œuvre est destinée à créer le consensus sur le mental des personnes qui partagent leur foi dans la figure du dieu Kalfou. En d’autres termes, le jugement esthétique devient ce sentiment privé entre les différents contemplateurs qui s’harmonisent et qui ont la certitude dans cette instance animiste comme tiers consensuel. Bref, l’œuvre dégage une beauté spirituelle vaudou.
En somme, le dieu Kafou exaucera t-il cette demande? Ou l’homme prendra t-il conscience que c’est lui qui fait parler la nature par l’acte de la prosopopée verbale? Entre-temps, nous devons espérer et agir entant que humain, potentiellement créateur comme il fut le cas pour les héros de l’indépendance haïtienne qui, pour certains, professaient également leur foi dans la cosmogonie vaudouesque…